#ArchivesNoroit présente «La rive solitaire»

Publié le 02.25.2021

Dans le cadre du projet de mise en valeur de notre fonds littéraire #ArchivesNoroît, le Noroît vous présente ce recueil de Denise Brassard, paru en 2008, La rive solitaire, que Sarah Boutin, a lu pour nous en parler.

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Ce recueil est triste. Et si ce n’est pas entièrement exact, la tristesse, «avec les lambeaux du jour», nous prend au fil de la lecture. D’abord j’ai senti une agitation, presque l’envie de me mettre en mouvement loin de l’ouvrage, comme si la radicalité noire des poèmes étalait sur les pages des distances qui tout à coup étaient miennes. Elles sont nombreuses : celles qui séparent de ce qui est désiré, celles engendrées par les fuites, celles qui nous sont imposées par les désertions.

«Tes lèvres ta voix dans ma paume» permettent « […] cette avancée seule où nos ombres s’estompent». Advient ce qui coupe l’histoire. L’écriture déambule le long des soirs, «gravit sa peur» et nomme : «le réel ne tient pas / à nous».

Pourtant, l’abandon, ici, est lieu de rencontre. Il invite l’inquiétude, ou ce qui fait se tenir au-dessus de soi-même, à ses racines : il faut donc «cueillir dans [le] ventre» «[…] une détresse mère trop mère / pour nous ramener à la rive».noroit-rive

De cette gravité survient une question. Elle semble éclairer l’exaltation et son retrait. «Combien de bras pour accueillir les corps» si entre eux déjà «l’oubli prend toute la place»?  Ne reste-t-il que les nôtres lorsque ce que même l’orage que nous tend le ciel «[…] n’apporte / aucun apaisement / à l’affolement du sombre»?

«De longues phrases se compliquent jusqu’au matin», et même l’aube annonce le jour comme une répétition. La poésie cherche : «qui cueillera le lilas blanc?» lorsque nous n’aurons plus à offrir que «frayeur et […] appels au calme»? «L’éternité tient sur ta langue». Qu’en reste-il alors si soudainement il y a éloignement entre les bouches?

Pointer l’écriture agitée comme un corps bras ballants serait omettre la part de tendresse qui se juxtapose à l’angoisse. Peut-être est-ce elle, aussi, cette tendresse une fois partie, qui soulève la douleur? Les mots indiquent : regardez, l’Amour, «main dans la main comme on ne le dit plus» avec la détresse et «le poids de la beauté».

Genoux fléchis, danse, lumière pour se mouvoir, ce recueil est avant tout un acte amour. Il prie «mon Dieu accordez-moi la grâce / d’une parole d’apaisement». L’adresse de La rive solitaire est plus grande qu’une nostalgie, ou qu’une quête, elle est portée par un pressentiment: avoir soif d’une trêve anticipe la réminiscence de nos origines. Il y aurait, dans l’accueil de la blessure «passé le cap de l’amenuisement / par miracle tenir / la mesure de [notre] naissance». Il y aurait déjà en soi un souffle qui porte la paix, un espace qui tient à nous, même lorsque les cassures nous dérobent à nous-mêmes et que l’errance prend nos pas. Cette éclaircie permettrait d’«[…] aimer à rebours» le tombeau de fièvre et le labeur dans nos chairs.

par Sarah Boutin

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