#ArchivesNoroit présente «Noir déjà»

Publié le 01.04.2021

Pour commencer cette nouvelle année sans oublier complètement le passé, on vous présente ce recueil de Louise Dupré, paru en 1993 (son premier au Noroît!), Noir déjà, que notre instagrammeuse invitée, Sarah Boutin, a lu pour vous en parler.

Dans le cadre du projet de mise en valeur de notre fonds littéraire #ArchivesNoroît.

Noir déjà accompagne les fins. L’écriture offre des mots-nuits qui donnent droit à la fatigue, comme s’il fallait que quelqu’un d’autre nomme : cadavres, noirceur, soupir, aveu, restes détruits, pour qu’enfin on puisse octroyer à nos corps le droit de ressentir l’état de vigilance et la pâteuse mélancolie. J’ouvre le recueil au moment des bilans de l’année qui s’achève. Ce que j’y
trouve est la résolution d’un certain calme : la paix qui vient lorsqu’on cesse d’être en lutte. Louise Dupré fait le portrait de crises. Elle éclaire celles qui nous traversent à échelle intime. Ses vers nous font envisager la texture, la dureté de celle que nous vivons collectivement depuis des mois.

Noroit_2020_1_noirdeja-2« On voudrait un drame / simple à raconter » pourtant les lésions rarement sont nettes. Nos espoirs de clarté appellent à voir dans les échancrures les ombres. « La lumière a tort si elle creuse les paupières ». L’écriture pose cette question : alors comment être au monde si la nuit nous rappelle vers des vestiges, nous peuple de fantômes et si même la lumière pointe les défauts de nos présences? La quête du recueil est rigoureuse. Elle s’incarne dans une promenade en ville, dans l’abondance des larmes, autour de la table à dîner. On sent la narration maintenue en alerte par le réel. Peut-être y a-t-il là, dans la rigueur de vivre avec acuité tout ce qui nous est donné, l’exactitude d’une réponse?

Et dans cette quête, quelle place pour la parole? «Bouche meurtrie», «bouche gonflée / dans la stupeur », «bouche / déchirée de couteaux» : «ici la bouche se fait murmure / se fait proie». La poésie tente «le cri / d’une phrase / morte déjà». Est-ce sa puissance, ou sa contrainte, au poème, que de résumer les fracas, lorsqu’il ne peut plus protester contre les circonstances avec
confiance?

On apprend qu’il faudrait rester immobile pour que le ciel puisse nous dissimuler, mais «la nappe […] taché[e] de cire et de vin» traduit le tremblement de nos présences. L’émotion est un enfant bleui par le froid : l’attente, le départ, le chagrin, l’heure pâle, le rêve et le répit s’y confondent. Dans l’agitation nos mains se révèlent, tout comme leur capacité à déjouer la mémoire : «on dénoue peu à peu / les doigts des cadavres» «de nouveau on consent». Nos mains portent aussi «cette prière / que les jours s’accrochent / aux nuits / dans l’éternelle marée / des jours et des nuits». Alors on pense à la tranquillité, à « l’heure où d’elle-même / la tête se relèvera».

Noir déjà dévoile avec sagesse tout ce qui passe : «[…] mourir n’est qu’un moment» «un jour on se réveille […] et le cœur recommence». Nos paradoxes y sont décrits avec exactitude : d’une part l’envie de voir se lever le jour et à la fois la peur de définitivement nous départir de ce que porte l’obscurité. Car, l’aube arrive avec un poids : son balayage semble naturel, pourtant on voudrait que ce qui quitte, si noir soit-il, reste encore un peu.

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