Entretien avec Marie Frankland

Publié le 11.16.2020

Paul Bélanger, directeur littéraire au Noroît, s’est entretenu avec Marie Frankland au sujet de la parution de sa traduction des poèmes de Elizabeth Smart, Poèmes, 1938-1984, parue dernièrement au Noroît.

E SMART Poèmes

Depuis quinze ans, tu te consacres à la traduction d’écrivain.es, romancier.ères ou poètes; qu’est-ce qui t’a attirée d’emblée dans l’idée de traduire?

Ç’a n’a pas été un choix, c’est tout ce que je sais faire! Ou à peu près. Non, en fait, c’est simple: j’aime lire, et la traduction n’est rien d’autre qu’une lecture plus poussée, une super lecture. Une lecture qui fait qu’à la fin du livre on en connaît chaque mot par coeur et que chaque scène/image reste gravée dans l’esprit comme une pièce qu’on aurait répétée très souvent. Quand je lis un texte sans avoir à le traduire maintenant, je suis presque frustrée: j’ai une impression de flou, ce n’est pas assez pour que je le comprenne/l’éprouve pleinement, on dirait… Je suis peut-être juste un peu lente! 

 

Comment t’es-tu intéressée à la poésie d’Élisabeth Smart, et qu’est-ce qui dans ce livre t’a particulièrement interpellée?

Pour tout dire, c’est mon éditeur chez les Allusifs/Leméac, Jean-Marie Jot, qui m’a fait découvrir Elizabeth Smart en me proposant de traduire The Assumption of the Rogues and Rascals en 2013. J’avais bien sûr entendu parler de À la hauteur… mais je connaissais à peine l’oeuvre de cette femme, ce dont je m’étonne encore. Et c’est en traduisant ce livre que je me suis attachée à Elizabeth. C’est très intime, traduire! À la fin du projet, j’avais l’impression de la connaître. Et je me suis énormément identifiée. Pas forcément par rapport à sa vie – que j’ai eu l’occasion de découvrir en traduisant sa biographie par la suite – mais surtout à cause de l’incroyable tension qu’il y a dans ses textes entre la révolte et la résignation, entre une furie d’insurgée et une docilité de débutante. Il m’a semblé que c’était particulièrement marqué dans sa poésie versifiée, peut-être à cause de la contrainte formelle, justement. J’avais rarement vu ces deux forces contraires aussi également présentes chez quelqu’un… Ça m’a rassurée.

 

Tu as traduit plusieurs poètes, à commencer par A.M. Klein; comment vois-tu ton évolution comme traductrice et « poète des autres »?

“Poètes des autres”! Je ne sais pas… Ce qui était particulier avec A.M. Klein, c’est que lui-même s’intéressait aux autres dans The Rocking Chair, et plus précisément aux Canadiens-français, justement. C’était donc tout naturel de répondre à cet intérêt en traduisant le recueil. Mais encore une fois, le projet m’a été proposé: c’est Robert Melançon qui m’a suggéré de faire cette traduction pour mon mémoire de maîtrise. Après, les projets se sont succédé, mais j’ignore si j’ai évolué… Dévolué peut-être? C’est-à-dire que je m’éloignais beaucoup plus de l’original à mes débuts, alors que j’ai de plus en plus tendance à rester près du texte maintenant. Je crois que je cherche de plus en plus l’invisibilité. Pas forcément l’effacement, mais une sorte d’unisson.

 

Y a-t-il une œuvre poétique qui t’attire actuellement?

Comme plusieurs, j’ai beaucoup été influencée par la poésie beat dans mon adolescence et au début de l’âge adulte. Ce n’est plus forcément ce que je lis à présent, mais il y a encore de nombreux textes qui n’ont pas été traduits et je ne peux pas m’empêcher de penser que ceux qui l’ont été auraient gagné à être traduits au Québec, dans un contexte d’américanité. J’avais des idées d’anthologie, mais ça risque de rester un projet de tiroir parce que c’est un travail à faire sans subvention et qu’il est difficile de retracer les ayant droits…  Autrement, je dois dire que de façon générale, je fais entièrement confiance à mes éditeurs. Ça fait partie de l’échange aussi, s’intéresser à ce qu’on nous propose, à ce qu’un autre lecteur voit. Et qui de mieux que les éditeurs pour faire des trouvailles intéressantes. Voilà un autre métier dont on ne parle pas assez.

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