Un os dans la neige
Quelque chose s’est rompu — un fil entre les êtres, une voix dans le froid, un souffle dans la nuit. Les liens vacillent, les gestes se figent, les générations ne parviennent plus à se répondre. Un père rôde, tour à tour fantôme, survivant, squatteur de la mémoire ou silhouette effacée dans le frimas. Des scènes de veille, de solitude, de débâcle intime se succèdent, hantées par ce qui n’a pas pu se dire : la honte, le chagrin, les gestes manqués. Une omerta sourde plane sur les paysages traversés. Mais quelque chose insiste — creuse, fouille, exhume. Une poupée aveugle, un tiroir vide, un chien affolé dans la neige : autant de signes d’un monde en éclats où affleure, dans la fissure, une vérité basse et tenace. Le murmure tient lieu de cri. La pudeur remplace le pardon. Et ce qui tremble, malgré tout, demeure.
Avec une œuvre d’Alexandra Duprez en couverture.
Sa peine s’est éteinte tout à coup,
il serait presque heureux à bercer ses os tranquilles
et à tendre au soleil la toile de ses larmes.
Il regarde les enfants au loin à travers les fils,
les arbres penchés pour l’agresser se sont relevés,
l’enclume du ciel bleu pèse moins lourd,
il cherche sa salive pour raconter
les animaux qui sortaient de ses poches
pour amuser la marmaille,
lapins et opossums en pagaille sur le plancher.
Il a presque oublié les éboulis, les bruits de rocaille,
et même si c’est tout cassé, tout rompu,
il espère pour bientôt des nouvelles de son âme.


