La note du triangle, précédé de Le briqueteur et l’architecte
Le triangle est l’instrument le plus facile à manier au sein du grand orchestre. Objet futile, simple tige de métal pliée qu’on pourrait presque glisser dans la poche intérieure de son veston comme une pipe ou un stylo. Des piquiers qui s’avancent seuls ou en rangs serrés sur la portée des percussions. Et ce timbre clair, pourtant, on dirait invasif, qui traverse les mailles les plus ténues du bruit ambiant… Le triangle symbolise le mieux, sans doute, le travail du diariste, du poète qui fignole des notes dans un carnet. Un seul écart de lecture, un seul émoi intempestif, et – ding! C’est l’appoggiature, le contretemps, la bourde. C’est l’humiliation de l’instrumentiste, immédiate, tranchante, une humiliation pire, à n’en pas douter, si l’on considère le caractère simplet de l’outil qui produit toujours la même note lorsqu’on le frappe avec une tringle. Rien, dans ce bout de métal, de quoi jouer les démiurges ou les semeurs de foudre. Rien que des notes frappées, étirées de temps à autre en quintuples-croches, mais toutes consubstantielles à l’orchestre, indissociables du tempo et du bercement de la mélodie qu’a commandés le chef.
Voilà, c’était ta phrase, la belle affaire, ça pianote à côté de la main sur la table, on dirait une voix étrange, accordée à rien qui te ressemble. Puis ça s’écrase : tes occupations habituelles te reprennent pour ce qui reste de la journée (non, tu n’écriras pas «l’ordinaire de tes habitudes», encore moins «la crue de tes habitudes», qu’exciterait une intention trop manifeste de bien dire…).
Artiste
Jacques Brault