Escale océan

En s’imprégnant des lieux qu’elle parcourt, Guylaine Massoutre crée une géographie personnelle de ses lectures. À chaque lieu physique correspond un territoire de la création. Tour à tour, Marie-Claire Blais, Anne Hébert, Marguerite Yourcenar, Gabrielle Roy, Julien Gracq, Pierre Loti, Marcel Proust, Grabriele D’Annunzio et Nikos Kazantzakis font l’objet d’un arpentage qui met en lumière le lien entre l’œuvre et le lieu de son écriture, entre l’œuvre et la vie. La lecture saisit ce qui fait corps avec le paysage et rayonne dans la personne imaginaire de l’auteur.

Il arrive que pour parler d’une réalité, il faille qu’elle soit disparue, que les personnes impliquées soient défuntes et que, tel l’art des chamanes, les images invoquées suscitent dans la mémoire un langage émergeant de l’oubli.

 

Dans certains lieux et pour un temps provisoire, il se produit parfois de telles substitutions magiques. Là où certaines personnes privilégiées ont vécu, un héritage immatériel s’est répandu comme brume du matin. Cette circulation affecte l’environnement d’une qualité étrange, et le voyageur qui s’y immerge la perçoit comme une ébauche d’art.

 

Le cas des maisons d’écrivains est, à cet égard, exemplaire. Une très fine poussière sort des livres que l’on referme brusquement. Elle forme une bruine veloutée ou un nuage opaque qui essaime dans toute la région. Subtile efflorescence ou fertile limon, elle constitue la marque visible du génie du lieu.

 

Neuf écrivains ont ici déposé un peu de cette fine fleur poudrée. Dans les maisons que j’ai visitées, dans les jardins arpentés, dans ce qui constitue

alentour une géographie d’écrivain, le filtre de la littérature a essaimé le long d’un dédale de chemins et de paysages – autant d’images idolâtres que j’ai perçues vibrer.