Affûts, précédé de Rue de nuit
Bien que cinq ans séparent ces deux publications, leur parenté est indéniable: la voix poursuit la quête du nom. Rue de nuit, ainsi que le suggère Paul Chamberland, « se donne à lire comme une suite fortement liée en tous ses moments: la voix qu’on y entend reprend inlassablement la même question. Qui suis-je en ce monde où je me disperse et me perds… » On peut lire ce livre comme un seul poème en fragments. Ce ton de familiarité distancié, nous le poursuivons dans Affûts, où se conjuguent encore lucidité, amitié et amour du passant pour le monde. Cette fois l’enfant reprend le filet de la voix et la mère se trouve être le noyau dur de ce mouvement vers l’origine et la mémoire. «Tu es né de l’appétence d’une mère» «tu es né de la nuit», écrit-il, scandant par ce retour à travers les blessures d’enfance, le désir de comprendre, de trouver vie malgré le non-sens.
Tu reviens à l’appel très ancien des eauxt’élever parmi les feuilles qui te recouvrentle matin y remue ces paysagesparmi le musc des bois gonflésrenonce à ce qui bruit dans l’instant trop brefs’il ne recèle un son qui accueille le monde.La rue te décline ou est-ce la mer qui t’appelleà ton tour nomme-toi debout parmi les mâts nusdans le sable fossile d’où surgit la lumièretandis que s’ébroue la nuit faiblement troubléepar les plaintes des trains.Voici que des mots d’étrangers sortent de toidis-moi qui j’ai dans la poitrineà peine si je reconnais ma voixquand elle profère ces mots tous ces motsqui me dévastent d’être ravalés?À mesure que tu t’avances la mer rend ses couleurset c’est alors qu’il monte d’elle un chant muetque tu reconnais à ce qu’il t’enfle le cœur.
Artistes
Andrée Laliberté et Lucienne Cornet